Réponse à Oumma.com : « Science et religion aujourd’hui : perspectives islamiques ».
Présupposer l’existence d’un dieu comme étant un fait, est évidemment dogmatique et fausse le débat. En effet, « il n’y a pas de double vérité », ni même de vérité unique ou absolue : si l’on privilégie l’autonomie et la liberté de pensée, plutôt que la soumission à un dieu ou à un texte « sacré », la « vérité » n’est que personnelle, partielle et donc provisoire. Comme en sciences, où la « vérité » n’est que l’état actuel des connaissances, toujours réfutables (Karl Popper) si un élément nouveau venait infirmer les observations ou expérimentations précédentes.
Henri POINCARE disait : « La pensée ne doit jamais se soumettre, ni à une dogme, ni à un parti, ni à une passion, ni à un intérêt, ni à une idée préconçue, ni à quoi que ce soit, si ce n’est aux faits eux-mêmes, parce que, pour elle, se soumettre, ce serait cesser d’être ».
Je conçois que les penseurs musulmans critiquent le « matérialisme occidental » et souhaitent « enraciner la connaissance scientifique et l’activité technologique dans les idées de la tradition islamique et les valeurs de la loi religieuse (shari’a), avec des nuances qui résultent des différences d’interprétation ». Mais il y a une incompatibilité, une contradiction interne dans « science islamique » ou « science sacrée » … Ainsi, le créationnisme, qui est une croyance, et l’évolutionnisme, qui est « plus qu’une théorie » (Jean-Paul II) parce qu’étayé par des faits, s’excluent mutuellement.
« Les derniers développements de la science contemporaine, notamment (…) les interrogations de la biologie sur l’évolution, et des neurosciences sur la conscience, n’ont sans doute pas été assez médités ». En effet, d’autant que, contrairement aux religions, les sciences humaines ne sont pas prosélytes et ne visent pas « à la propagation des intérêts idéologiques, politiques et économiques », mais bien à l’autonomie, à l’émancipation, et à l’épanouissement de l’être humain. Hélas, les musulmans semblent totalement ignorer, ou rejettent, l’humanisme laïque, la spiritualité laïque, la morale et les options laïques, …
Il est exact cependant que les neurosciences, si elles ne prétendent évidemment pas prouver l’inexistence de « Dieu » ou d’ « Allah » (aucune inexistence ne peut être démontrée), tendent de plus en plus à prouver son existence imaginaire et donc illusoire, ce qui explique leur rejet par toutes les religions. L’approche neuroscientifique, holistique, du phénomène religieux (psycho-neuro-physio-génético-éducative), est loin d’être « scientiste ou positiviste : bien qu'encore très partielle, elle vise à mieux comprendre l'origine et la fréquente persistance de la foi et donc à permettre à chacun de choisir, en connaissance de cause, aussi librement et tardivement que possible, ses convictions philosophiques OU religieuses.
C’est un fait sociologique et statistique : la liberté de croire ou de ne pas croire est généralement compromise, à des degrés divers : d’abord par l’imprégnation de l’éducation religieuse familiale précoce, forcément affective puisque fondée sur l'exemple et la confiance envers les parents, ensuite par l’influence d'un milieu éducatif croyant, excluant toute alternative humaniste non aliénante. L'éducation coranique, exemple extrême, en témoigne hélas à 99,99 %, la soumission y étant totale.
Les neurosciences tendent à confirmer cette imprégnation :
- Richard DAWKINS estime que la soumission est génétique : déjà du temps des premiers hominidés, le petit de l'homme n'aurait jamais pu survivre si l'évolution n'avait pas pourvu son cerveau tout à fait immature de gènes le rendant totalement soumis à ses parents (et donc plus tard à un dieu … ).
- Dès 1966, le psychologue-chanoine Antoine VERGOTE, alors professeur à l'Université catholique de Louvain, a constaté (son successeur actuel Vassilis SAROGLOU le confirme) qu' en l'absence d'éducation religieuse, la foi n'apparaît pas spontanément, et aussi que la religiosité à l'âge adulte en dépend ( et donc l'aptitude à imaginer un "Père" protecteur, substitutif et anthropomorphique (cfr Freud !), fût-il "authentique, épuré, Présence Opérante du Tout-Autre" ...).
- Des neurophysiologistes ont constaté que les hippocampes (centres de la mémoire explicite) sont encore immatures à l’âge de 2 ou 3 ans, mais que les amygdales (du cerveau émotionnel), elles, sont déjà capables de stocker des souvenirs inconscients, tels que les comportements religieux, puis les inquiétudes métaphysiques des parents, sans doute reproduits via les neurones-miroirs du cortex pariétal inférieur. L'IRM fonctionnelle suggère que le cerveau rationnel, le cortex préfrontal et donc aussi bien l'esprit critique que le libre arbitre ultérieurs s'en trouvent anesthésiés, à des degrés divers, indépendamment de l'intelligence et de l'intellect, du moins dès qu'il est question de religion. Ce qui expliquerait l’imperméabilité des croyants à toute argumentation rationnelle ou scientifique, et donc la difficulté, voire l'impossibilité de remettre leur foi en question, sans doute pour ne pas se déstabiliser (cf le pasteur évangéliste Philippe HUBINON à la RTBF : « S’il n’y a pas eu « Création », tout le reste s’écroule … ! » … Mais s’il y a eu création, qui a créé « Dieu » ? Lui-même, ex nihilo ?
- La liberté de conscience et de religion, et en particulier celle de croire ou de ne pas croire serait plus effectives que symboliques si l’on s’orientait enfin vers un système éducatif pluraliste proposant à tous une information minimale, progressive, objective et non prosélyte sur les différentes options religieuses ET sur les options laïques actuellement occultées. L’école compenserait ainsi l’influence familiale, certes légitime mais unilatérale et donc communautariste.
Il est logique dès lors que certains athées, comme Richard DAWKINS, ou agnostiques comme Henri LABORIT, au risque de paraître intolérants, perçoivent l'éducation religieuse, bien qu'a priori sincère et de bonne foi, comme une malhonnêteté intellectuelle et morale. Henri LABORIT a écrit : « Je suis effrayé par les automatismes qu'il est possible de créer à son insu dans le système nerveux d'un enfant. Il lui faudra, dans sa vie d'adulte, une chance exceptionnelle pour s'en détacher, s'il y parvient jamais.(...) Vous n'êtes pas libre du milieu où vous êtes né, ni de tous les automatismes qu'on a introduits dans votre cerveau, et, finalement, c'est une illusion, la liberté !".
Le droit de croire n’en restera pas moins légitime et respectable, a fortiori si cette option a été choisie plutôt qu’imposée.
Michel THYS à Waterloo michelthys@base.be http://michel.thys.over-blog.org