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26 août 2009 3 26 /08 /août /2009 13:27

Les brèves de Philosophie Magazine

1 commentaire

Phil'Info

Une enquête intitulée « La querelle de l'inné et de l'acquis » a été publiée dans le no10 de Philosophie magazine (mai 2007). Elle faisait suite aux déclarations du ministre de l'intérieur Nicolas Sarkozy concernant son projet de dépistage précoce de la délinquance chez les mineurs. Dans cet article, les généticiens et philosophes interviewés se positionnent contre la thèse naturaliste de l'existence de prédispositions à certains comportements sociaux et sexuels. Interrogé sur le site du journal quant à la part du déterminisme génétique dans les vies humaines, Henri Atlan, directeur du Centre en biologie humaine de l'hôpital Hadassah à Jérusalem et auteur de l'ouvrage Les Étincelles du hasard (Le Seuil, 1999 et 2003), recueil de réflexions philosophiques sur le vivant et la génétique, a rappelé la dépendance des gènes vis-à-vis de l'environnement. Un des internautes a réagi en questionnant le biologiste : ne peut-on pas comprendre les croyances religieuses à partir de causes neuroscientifiques ? Henri Atlan répond ici à cette interrogation, en adoptant un point de vue anthropologique qui comprend la religion comme résultant d'un processus intellectuel plutôt que cérébral.


Cher Docteur Henri Atlan,

J'en suis gêné : je ne vous connaissais que par votre ouvrage «Tout, non peut-être » ... C'est à la suite de l'article de Frédéric Joignot (« Inné et acquis ») que je découvre enfin vos autres livres. Avec le même enthousiasme que celui qui m'animait, adolescent, en découvrant ceux de Jean Rostand, au début des années 50 ... Rares sont en effet les scientifiques qui osent s'éloigner de leur « spécialité » et exprimer une vision holistique de l'être humain, a fortiori dans des domaines aussi délicats et personnels que la religion. À cet égard, j'ai été déçu par l'attitude intellectuelle de certains neurophysiologistes ou neurologues américains ou canadiens, tels que Mario Beauregard ou Michaël Persinger, convaincus d'avoir trouvé dans le lobe pariétal l' « antenne » que « Dieu » y aurait placée pour recevoir sa « révélation » ! Il me paraît flagrant qu'ils ne cherchaient qu'à conforter leur propre croyance ... ! Patrick Jean-Baptiste, dans « La biologie de dieu », est plus discret dans l'expression de ses convictions, plus déistes qu'agnostiques. Ancien croyant (protestant) jusqu'à 24 ans (j'en ai 69), athée et franc-maçon depuis, je m'intéresse d'un point de vue laïque à l'origine de la foi, à sa fréquente persistance, ainsi qu'à la soumission, commune à toutes les religions. A ce sujet, puis-je me permettre de vous demander ce que vous pensez de la thèse de Richard Dawkins ? Selon lui, comme vous le savez, le petit de l'homme est le seul de tous les mammifères qui a absolument besoin de ses parents pour survivre. Il fallait donc que son cerveau tout à fait immature ait été pourvu par l'évolution de gènes qui le rendent soumis à ses parents, et donc plus tard à un « père protecteur substitutif (Antoine Vergote) et anthropomorphique. Dès 1966, dans « Psychologie religieuse », ce jésuite, professeur à l'université catholique de Louvain, a montré - paradoxalement - qu'en l'absence d'éducation religieuse précoce et affective, (puisque fondée sur la confiance et l'exemple des parents, puis confortée par un milieu culturel unilatéral), la foi n'apparaît pas spontanément, et que la religiosité à l'âge adulte en dépend largement. D'autre part, des neurophysiologistes n'ont-ils pas établi que l'amygdale est capable, dès l'âge de 2 ou 3 ans, de stocker des souvenirs inconscients, et donc celui des comportements religieux et des inquiétudes métaphysiques des parents, reproduits via les neurones-miroir du cortex préfrontal (?) ? Enfin, ces chercheurs n'ont-ils pas constaté, par l'IRM fonctionnelle, que le cortex préfrontal et donc l'esprit critique et le libre arbitre ultérieurs s'en trouvent anesthésiés, à des degrés divers, indépendamment de l'intelligence et de l'intellect, du moins dès qu'il est question de religion (ce qui expliquerait la difficulté, voire l'impossibilité, pour bien des croyants, de remettre leur foi en question) ? N'est-il pas logique et légitime dès lors que certains athées, comme Richard Dawkins, ou agnostiques comme Henri Laborit, au risque de paraître intolérants, perçoivent l'éducation religieuse, bien qu'a priori sincère et de bonne foi, comme une malhonnêteté intellectuelle et morale ? Loin de vouloir simplifier ou réduire l'infinie complexité du psychisme humain, et en particulier la foi, à un "mécanisme" psycho- neuro-physio-génético-éducatif, n'est-il pas légitime de compléter son approche traditionnelle (philosophique, métaphysique, théologique, anthropologique, sociologique) par une approche neuroscientifique, bien qu'encore très encore partielle, afin de mieux comprendre le phénomène religieux et donc de permettre à chacun de choisir, en connaissance de cause, aussi librement et tardivement que possible, ses convictions philosophiques OU religieuses ? Votre commentaire me serait précieux.

Je vous en remercie déjà, cordialement,

Michel Thys, à Waterloo.

Cher Monsieur,

Merci pour votre message. Je ne trouve pas très sérieuse cette analyse neurophysiologique de la foi en Dieu, tout simplement parce que celle-ci est limitée à un modèle monothéiste lui-même le plus souvent réduit aux catéchismes chrétiens. Les thèses évolutionnistes de Dawkins en général ne me semblent pas très sérieuses non plus, et celle-ci pas plus que les autres : tout ce qui existe est supposé avoir été fabriqué par l'Évolution dans des processus adaptatifs. Il est alors facile d'imaginer après coup des scénarios nous disant "pourquoi votre fille est muette".En outre les idées de "gènes égoïstes" de Dawkins ne sont plus défendables même si on a pu croire un jour qu'elles l'étaient (ce qui n'était pas mon cas!). A mon avis c'est à l'anthropologie qu'il faut faire appel plutôt qu'à la neurobiologie car celle-ci ne peut pas rendre compte de la qualité des activités intellectuelles ou affectives : on peut identifier des régions cérébrales sensibles à la musique mais pas distinguer l'activité cérébrale correspondant à un concerto de Mozart de celle stimulée par la musique de Brahms. Il en est de même des contenus spécifiques de croyances, que celles-ci soient rationnelles ou pas. Étant moi-même spinoziste je ne pense pas que les activités de l'esprit soient dissociées de celles du corps mais nous ne disposons pas d'un même vocabulaire unique pour les décrire. D'un point de vue philosophique le livre de Wittgenstein « De la Certitude » est assez éclairant. Du point de vue anthropologique, je défends avec d'autres la thèse des "ethnobotanistes" qui situe l'origine des expériences du sacré comme "autre réalité" dans les expériences d'hallucinations induites par des plantes ou encore celles des rêves particuliers comme chez les Aborigènes d'Australie avec leur "dreamland". Ensuite ces expériences se sont diversifiées suivant les histoires et géographies différentes et leur rationalisation après coup a donné lieu aux enseignements dits religieux, eux aussi diversifiés. J'ai essayé de présenter cette thèse dans mon livre "A tort et à raison. Inter critique de la science et du mythe", et l'ai en partie reprise dans "Les étincelles de hasard" tomes 1 et 2, plus explicitement spinoziste. Je ne crois pas que les enseignements religieux soient tous nécessairement de mauvaise foi dans la mesure où certains peuvent s'exercer de façon critique et avoir un effet moralisateur, même si parfois d'autres le sont et conduisent en plus aux catastrophes du fanatisme religieux.Il existe en outre aussi des mythes rationnels à l'origine de croyances tout aussi dangereuses génératrices d'idéologies meurtrières au nom de la science comme celles que nous avons connues au siècle dernier.

Cordialement,

Henri Atlan

 

 

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